L’homme de sa vie et le père de ses enfants, Mathieu Giroud, est mort au Bataclan il y a un an. A l’époque, le couple a un petit garçon et Aurélie attend une petite fille pour le mois de mars. Comment cette jeune femme a-t-elle surmonter l’insupportable, donner la vie et maintenant transmettre à ses enfants l’amour de ce père disparu dans une violence inouïe ? Comment a-t-elle pu donner naissance, le 15 mars, à sa petite Thelma ? Cette nuit terrible, les lendemains qui se succèdent, elle le raconte dans un superbe ouvrage, Nos 14 novembre, paru le 9 novembre aux éditions Lattès.
Le 13 novembre, j’étais enceinte de cinq mois et l’idée d’avoir à vivre mon dernier mois de grossesse seule avec mon fils de 3 ans me semblait irraisonnable. La ville de mon enfance (ndlr, en Savoie) m’est tout de suite apparue comme une évidence. Je n’aurais jamais imaginé vivre ça : retourner chez mes parents, aller donner naissance à un enfant en redevenant enfant moi-même. Mais il y a tant de choses que je n’aurais jamais imaginées. Etre dans une petite ville de province me donne le privilège d’être la seule à accoucher ce soir. Le personnel est là, opérationnel, prêt à accompagner chaque du voyage de ma vie vers le monde extérieur. L’atmosphère est particulière dans la salle de naissance. Chacune sait que nous allons vivre un moment rare. La vie et la mort mélangées, pas dans un combat, plutôt comme un résumé de l’existence. Un de ces moments où l’on peut s’autoriser à croire aux fantômes. Ils tiennent la main, chuchotent que tout ira bien. Ils sont là. C’est bien.
La vie après la mort
La sage-femme m’annonce que la naissance est imminente. La panique me saisit toujours par surprise. Il est bientôt 23 heures, presque l’heure à laquelle elle m’a étranglée le 13 novembre dernier. La vie, la mort. Non. Ce soir, l’ordre est différent. La mort, la vie.
Ce soir, nous vivons après être morts. Cette nuit, je n’ai pas envie de pleurer. Le printemps vient d’arriver. Je sens sur mes lèvres mon sourire, le vrai, celui que je ne connaissais plus, qui semblait parti avec Mathieu. Je n’ai plus à m’inquiéter. Je ne vais plus me demander si je vais voir Mathieu en elle, si je serai triste pour elle, pour lui. Non, je n’ai pas choisi ce chemin-là.
Sur son visage, il n’y a pas de malheur, même pas une ombre. Je regarde Thelma et je ne vois que Thelma. Nous serons heureux. C’est aussi simple qu’une promesse, la plus belle des vengeances.
Nos 14 novembre…
Un livre témoignage fabuleux qui va vous arracher des larmes. Aurélie y évoque son amour pour Mathieu, cette soirée terrible où elle a cru jusqu’au bout que son mari allait rentrer. Les jours sinistres qui ont suivi. Puis l’enterrement. Et les jours qui ont suivi, au fil des semaines, des mois. Comment elle a affronté de symboliser pour certains le visage du drame. Comment elle a fait face au chagrin de son petit garçon. Comment elle a vécu la naissance de sa petite fille, seule avec les sages-femmes. Plus qu’un témoignage, c’est une magnifique leçon de vie que nous donne Aurélie. On ne sort pas indemne de cette lecture. Mais il faut tourner les pages, revenir sur certaines, les méditer. Rejoindre Aurélie sur ce chemin qu’elle a choisi de baliser par le bonheur. Même si elle ne sait pas encore très bien comment, mais elle va y arriver. Elle le doit à Mathieu, elle le doit à ses enfants. Et elle se le doit, à elle aussi. Superbe Aurélie…
Nos 14 novembre, éd. JC Lattès, 15 euros.